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Je suis peintre et je me questionne depuis quelques temps sur l’usage du procédé photographique dans ma pratique artistique.

 

Depuis toujours, j’utilise des photographies prises par moi-même ou trouvées sur internet, dans des livres, issues d’albums de famille,… Elles sont des supports, des modèles, des déclencheurs de dessins et de peintures.

Récemment, j’ai commencé à m’intéresser à la technique du cyanotype. Je trouve ce procédé fascinant car il permet de capter la réalité matérielle des choses : il fige les formes et les contours d’éléments réels. Il fait sens pour moi car je travaille sur les notions de souvenirs, de mémoire et de passé.

Il me fait penser aux empreintes réalisées par les premiers hommes : des mains qui apparaissent en négatif et que l’on retrouve dans la grotte de Lascaux. Il me rappelle également les silhouettes retrouvées à Hiroshima correspondant aux ombres portées des corps, des objets et du mobilier urbain, dues à la chaleur du rayonnement thermique.

Je trouve ces empreintes émouvantes car elles sont les témoins d’une réalité disparue.

 

Je pratique le cyanotype de manière expérimentale.

Je pèse les poudres chimiques et l’eau, j’enduis différentes feuilles de papier de liquide photosensible sans pouvoir prédire le résultat de ces images et comment je vais ensuite les travailler.

C’est à chaque fois comme une cérémonie, comme une fête : il faut attendre une journée ensoleillée, glaner des végétaux et des objets avec mes enfants puis étaler les papiers au sol dans le jardin. Faire en sorte que rien ne s’envole avec le vent : ni les papiers, ni les objets.

Ensuite, il faut les remonter précautionneusement dans l’obscurité de l’atelier. La salle de bain de l’atelier se transforme en caverne de Platon.

Mes enfants adorent regarder et m’assister. Les papiers sont délicatement manipulés et positionnés dans l’eau de la baignoire et nous révélons les images. Nous les douchons si les formats sont trop grands ; Il faut alors être plusieurs pour maintenir le papier et diriger l’eau. Je suis à la fois émerveillée, inquiète de leurs gestes, exigeante. C’est une fête sérieuse.

 

Je mets ensuite les papiers à sécher sur le sol de mon atelier : ils sont d’un bleu éclatant et humides. J’ai l’impression d’avoir une multitude de piscines et je m’imagine plonger dans chacune d’elles. Je les appelle mes « Bigger Splash », en pensant à l’oeuvre de David HOCKNEY.

C’est l’apparence du cyanotype qui va ensuite me diriger vers l’image picturale.

Je pense tenir quelque chose. Cette nouvelle perspective prendra du temps à être explorée.

 

                                                                                                                    décembre 2024

 

 

 

I am a painter, and I have been reflecting for some time on the use of photographic processes in my artistic practice.

 

 

For as long as I can remember, I have used photographs that I take myself or find online, in books, or family albums. They serve as supports, models, and triggers for my drawings and paintings.Recently, I started exploring the cyanotype technique. I find this process fascinating because it captures the material reality of things: it freezes the shapes and contours of real objects. It resonates with me because I work with notions of memory, remembrance, and the past.It reminds me of the imprints left by early humans: handprints appearing as negatives, like those found in the Lascaux cave. It also brings to mind the silhouettes discovered in Hiroshima, corresponding to the shadows of bodies, objects, and urban furniture etched by the heat of the thermal radiation.I find these imprints moving because they bear witness to a vanished reality.

 

 

I approach cyanotype in an experimental way.I measure out the chemical powders and water, coat various sheets of paper with photosensitive liquid, without being able to predict the outcome of these images or how I will work on them afterward.Each time, it feels like a ceremony, like a celebration: waiting for a sunny day, gathering plants and objects with my children, and spreading the papers on the ground in the garden. Making sure nothing flies away in the wind—neither the papers nor the objects.Then, I carefully bring everything back into the darkness of the studio. The studio's bathroom transforms into Plato’s cave.My children love to watch and assist me.The papers are delicately handled and placed in the bathtub’s water, where we reveal the images. We rinse them if the formats are too large; it then takes several hands to hold the paper and direct the water. I am simultaneously amazed, anxious about their movements, and demanding. It is a serious celebration.

 

 

I then lay the papers out to dry on the studio floor: they are bright blue and still damp. I feel as though I have a multitude of pools before me and imagine diving into each one. I call them my "Bigger Splash," thinking of David HOCKNEY’s work.The appearance of the cyanotype then guides me toward the pictorial image.I feel I am onto something. This new perspective will take time to explore fully.

 

                                                                                                                   December 2024

 

 

   

 

   « Les midis, je déjeune à la cafétéria de l’hôpital. Infirmiers, patients, proches éplorés et perfusions m’entourent. J’ai du mal à apprécier mon morceau de quiche » ; « Je ne fais aucun cauchemar des moulages. Ce ne sont que des représentations » : voici quelques petites phrases extraites du journal que tient Elise Franck lors de son séjour d’études au Musée des moulages dermatologiques de l’hôpital Saint-Louis de Paris en 2011. Ce séjour a donné lieu à une série de dessins au fusain, exprimant fortement l’impression de malaise que l’on peut avoir face aux déformations du corps et à ses maladies. Mais, loin d’en rester au jeu d’attraction-répulsion, Elise Franck fait de ces pathologies de véritables motifs graphiques, créant, par le gros plan, des formes à la fois organiques et abstraites. Elle a besoin d’élire domicile dans des lieux où elle peut travailler, presque « sur le motif ». C’est dans cette perspective qu’elle dit avoir pris un immense plaisir artistique à rester « 15 jours dans les odeurs de formole », parce qu’elle a besoin de prendre son temps et surtout d’ « être face au modèle », même si celui-ci est inanimé. De la même manière, en 2012, Elise Franck travaille au Musée aquarium de Nancy, où elle étudie les animaux naturalisés, autres modèles inertes… Entretenant un rapport affectif fort avec le lieu musée et son côté parfois poussiéreux ; ou du moins avec l’idée de collection, de classification, de conservation des objets du passé, Elise Franck devient en quelques sorte une artiste archéologue. Les animaux empaillés, comme les moulages, sont les enveloppes artificielles de corps qui ne sont plus, mais qui restent malgré tout face à nous, au présent, en une momification du temps.

 

Pour ses peintures, Elise Franck travaille au contraire sans modèle, mais à partir de photographies, extraites de sa vie intime ou bien collectées sur internet. Pour La Fille du Père Noël— grande toile à la peinture à l’huile de près de 2 mètre de haut — elle utilise une photographie prise au Cimetière du Père Lachaise : un vieux sapin de Noël défraîchi et roux trouvé sur une tombe sur laquelle est gravé « A NOTRE AMOUR », donnant forcément un sens tragi-comique à la composition. L’amour est perdu, abandonné, comme un sapin délaissé. Ici encore, il faut comprendre que le travail d’Elise Franck est constamment narratif, mettant en scène une existence littéraire, un peu à la manière d’un journal intime.

 

Citant très souvent l’histoire de la peinture, et en particulier l’œuvre de Gustave Courbet, par exemple L’Origine du Monde,Elise Franck nous donne un indice important : elle cherche ce qui se cache derrière les apparences, même lorsqu’elle procède par une étude réaliste. Pour Cavité — magnifique et grand fusain rond sur papier — elle s’est rendue à Ornans, patrie de Courbet, et a décidé de représenter un détail d’une grotte, sur le site de Plaisir Fontaine, cela ne s’invente pas… Cette « cavité », c’est l’espace ténébreux où tout se crée, l’antre magique, enfoui dans l’obscurité profonde, de la vie et de la mort.

 

 

Léa Bismuth


 

(Alice Beuys, collage papier, 21 x 29,7 cm, 2007)

 

 

« Lorsque je regarde une peinture, je me moque complètement de savoir quand elle a été exécutée ; si je suis influencé par un peintre d’une autre époque, c’est comme le sourire du chat du Cheshire dans Alice – le sourire reste quand le chat est parti. Autrement dit, je pourrai être influencé par Rubens, mais je ne voudrais certainement pas peindre comme Rubens. »

 

                                                                                     Willem de Kooning

 

 

       

        Longtemps, Elise Franck se présentait sous les traits d’Alice Dürer, un personnage qu’elle a créé. C’est aussi le titre d’un de ses tableaux emblématiques. L’artiste ne s’y est pas trompée. C’est cette toile qui est représentée sur la première carte de visite qu’elle m’a donnée. C’est une œuvre singulière qui se démarque de sa production. C’est tout d’abord un grand format où le lapin de Dürer vous transperce de ses yeux rouges. Atteint de myxomatose cela expliquerait-il qu’il s’appelle Alice ? A-t-il oublié d’où il vient ?

Une chose est sûre, Elise Franck, elle, n’oublie pas. Et puis dans myxomatose, n’y a-t-il pas le mot mix ? C’est précisément ce que fait l’artiste dans l’ensemble de son œuvre et qui est déjà perceptible dans Alice Dürer. La jeune peintre multiplie les liens entre l’Histoire, les histoires, le souvenir et l’histoire de l’art.


 

Dès lors, on sent se rejouer l’éternelle chanson du peintre obsessionnel, incapable de se libérer de la tradition de son médium. On craint de devoir faire face à une œuvre de peintre sur la peinture. Une sorte de pizza indigeste centrée sur elle-même.

Cependant, lorsque l’on rencontre le travail d’Elise Franck, tous ces clichés volent en éclats. Il s’y passe une rencontre qui sait habilement vous donner l’envie d’en savoir plus. Sa peinture est généreuse dans son propos car profondément humaine. Cette générosité et cette humanité est sensible. Ses tableaux ne sont pas bruyants et ne se gargarisent pas devant son spectateur. On y perçoit juste un son, un mot, une atmosphère ou une intention dit avec justesse et douceur. La conversation entre le spectateur et l’œuvre débute ainsi. L’artiste a compris qu’un tableau ne raconte pas mais qu’il peut éventuellement parler à quelqu’un. Elle sait également que la peinture est un art du silence. C’est ce paradoxe qu’elle utilise pour attirer le spectateur face à la peinture, le spectateur face à lui-même.

 

Etre un artiste c’est comme être un écrivain épistolaire dont on serait le destinataire. En d’autres termes c’est être à la fois le créateur et le spectateur de sa propre œuvre. Le peintre allemand Georg Baselitz dit qu’être peintre c’est se peindre indéfiniment.

Doit-on alors s’inquiéter d’une éventuelle voire inévitable répétition du sujet dans l’œuvre d’Elise Franck ? La jeune artiste nous raconterait-elle toujours la même histoire ?

Markus Lupertz dit : « On n’apprend pas à peindre en peignant sinon on tombe dans la routine, on devient un faiseur, c’est autre chose. Etre un artiste c’est comme de la neige fraichement tombée tous les matins ». La neige, Elise Franck vous en parlerait mieux que moi. Elle en a certainement un souvenir affreux, transformant la neige en neige éternelle. Plus jeune, elle s’est baladée dans les bois. C’était l’hiver et la neige au fil de son parcours était de plus en plus maculée de sang. Un braconnier venait de trancher la tête d’une biche. Pour elle ce n’est pas une anecdote mais un souvenir.

Le souvenir et la mémoire sont deux facteurs importants dans son travail. Ils se répercutent à la fois sur le plan conceptuel et pictural.

Regardez un tableau d’Elise Franck et vous verrez sa matière fluide, non épaisse. Ce n’est pas une peinture de l’ordre de la croûte ou de la chair. Les matières sont souvent transparentes, évanescentes tels les souvenirs, flous et imprécis. La justesse dont je parlais tout à l’heure se vérifie une fois de plus.

C’est aussi en puisant dans ses souvenirs que son œuvre acquièrt ce caractère humain et touchant. Néanmoins, on ne tombe jamais dans une forme de nostalgie ou de sensiblerie mal venue. La jeune peintre sait que la peinture est un médium romantique avec ces défauts et ces qualités. C’est en cela qu’elle brouille les pistes, étend les voies (et les voix) en mêlant son vécu, son passé, avec des éléments actuels tirés de photographies aux sources variées. Ses choix ne sont jamais le fruit du simple hasard. Etre un bon peintre ou un bon artiste c’est avoir de l’intuition et savoir s’en servir. Elise Franck n’est pas avare sur ce plan là. L’univers qu’elle peint mêle souvent l’Homme et l’animal (la nature et la culture), les objets (qui ne sont pas des natures mortes) sans rejouer les genres bourgeois de l’histoire de la peinture. Et ce pour cette raison : il y a toujours une atmosphère particulière, même si il s’agit d’un objet. Tout cela est assez étrange et je ne me complairai pas à mentionner le terme d’inquiétante étrangeté. L’étrangeté ne m’inquiète pas. Avouons que ce qui est étrange est agréable.

Cette peintre est d’ailleurs admirative du travail de Luc Tuymans et Michael Borremans, deux peintres belges dont on peut la rattacher.

Seulement, faire cela relèverait de la facilité voire de la paresse. Si Elise Franck peut être influencée par Tuymans et Borremans, elle ne voudrait certainement pas peindre comme eux, pour reprendre la citation de Willem de Kooning. La peinture est une expression. L’artiste a besoin d’exprimer dans son œuvre ce qu’il n’est pas toujours capable de faire autrement que par ce moyen. Etre artiste c’est vouloir exister. Elise Franck veut exister pour elle-même et non sous l’ombre de deux hommes si intéressants soit-ils.


D’ailleurs pourquoi une jeune femme peintre devrait se ranger derrière des hommes ? La situation est tellement rare. Combien de femmes peintres sont reconnues sur la scène artistique ? Malheureusement le constat est sans appel.

Biensûr il y a les Cecily Brown, Marlène Dumas, Karen Kilimnik, Elizabeth Peyton ou encore Dana Schutz qui ont toutes accédé au statut de peintre-superstar. Seulement à quel prix ou plutôt sur quel registre ? Toutes à l’exception de Peyton sont rattachées à un univers brutal, de l’ordre de l’outrance, de la vulgarité voire de la pornographie. Témoignage d’une société de tous les excès. Un univers rattaché au machisme que Cecily Brown amplifie par sa peinture expressionniste abstraite. Elle dit elle-même que « c’est le type de peinture que l’on peut faire quand on a une queue ». La qualité de ces artistes est indéniable, leurs œuvres sont plus que respectables, là n’est pas le problème.

Elise Franck, une fois de plus, se démarque de ces artistes sans tomber pour autant dans l’univers Girly. Son œuvre ne tombe jamais dans le pathétique et si elle se détache de ces artistes par la thématique, elle va encore plus loin par le format utilisé.

 

 

Les peintures d’Elise Franck ne sont pas monumentales. Ce sont de petits formats ou des formats à taille humaine que l’on peut transporter seul, comme l’on porte avec soi son vécu, ses souvenirs. Et c’est très judicieux.

Car sans les souvenirs nous ne serions rien.

 

 

 

   

                                                                                                                                             Emilien Sarot

                                                                                        2011